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DEPHY : Comment réintroduire le lin de printemps dans une rotation bio

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Thomas et Antoine Delahais sont deux frères associés sur une ferme de polyculture élevage laitier à Bréauté, dans le cœur du Pays de Caux (76). En 2020, soit 8 ans après l’arrêt du lin et un passage en bio, ils font revenir la culture sur leurs terres, mais cette fois, sans intrants ! Retour sur leur 3 années d’expérience.

Pour Antoine et Thomas, la réflexion a débuté peu avant 2020. A cette époque, la ferme bio est centrée sur l’atelier d’élevage laitier, avec ses 90 vaches laitières et 20 bœufs à l’herbe. Sur la SAU de 123ha la rotation est un enchainement d’une prairie de 4 ans suivie d’un méteil fourrager. « On a eu un souci technique avec notre séchoir en grange, ce qui nous a poussé à réduire la surface d’herbe et a réintroduire une culture de vente. Ce qu’on recherchait avant tout, c’était la meilleure valorisation possible et sur ce plan, le lin de printemps semblait idéal. En effet, le marché bio était bien valorisé (entre 3.5€ et 4.5€/kg de filasse à l’époque) et on maitrisait la culture puisqu’on en avait fait en conventionnel. Et en plus, cela nous plaisait de faire une culture technique et adaptée au climat seinomarin. »

Utiliser les forces de la rotation dans la gestion des adventices au profit d’une culture à forte valeur ajoutée

Sur la première année, l’objectif principal était de sécuriser un lin propre, présentable pour la filière. Ensuite, un rendement satisfaisant, maxi 20% inférieur à ce qui peut se faire en conduite classique afin d’avoir une marge comparable. Ecologiquement parlant, l’objectif était aussi d’avoir une culture où il soit possible de faire impasse sur la fertilisation par engrais de ferme. « Implanter le lin directement après prairie nous semblait trop risqué pour deux raisons. La première, c’était qu’on craignait que l’abondance de matière organique apporté par la prairie provoque la verse du lin. Ensuite, on observait des repiquages d’herbe dans le méteil qui auraient été difficiles à gérer sur lin. L’intérêt d’une culture ayant un cycle de 100j permettait aussi de libérer la parcelle assez tôt pour préparer l’implantation de la prairie suivante. On a donc préféré le placer après le méteil. On comptait maitriser l’altise en mettant toutes les conditions de levée de notre côté. Coté adventices, on estimait à deux le nombre de passages de désherbage mécanique. »
 

Par-dessus tout, ces deux frères soulignent l’intérêt de la prairie en rotation dans la viabilité de cette nouvelle culture. En effet, la prairie assainit grandement la pression en bioagresseurs sur la rotation, notamment en adventices. Un couvert d’avoine, de radis et de trèfle , pâturé par le cheptel de la ferme, couvre le sol entre le méteil et le lin.

En complément, Antoine et Thomas ont suivi une formation du groupe DEPHY Pays de Caux du CIVAM sur les leviers de gestion des adventices et le diagnostic de parcelle par la méthode des plantes bio-indicatrices. Cette formation leur a permis de préparer au mieux la parcelle pour accueillir le lin : « Notre approche est avant tout agronomique : on a constaté une recrudescence des chiendents et des rumex sur la parcelle et, grâce à la formation sur les plantes bio-indicatrices, on a su relier ça à une problématique de compaction qu’on a pu résoudre. »

La logique de l’itinéraire : adapter la préparation suivant les contraintes climatiques annuelles pour un semis optimal

La figure ci-dessous présente l’itinéraire technique tel qu’il est pratiqué aujourd’hui sur la ferme. Sur les sols de limons profonds de la ferme, la terre a besoin d’être ouverte à plusieurs reprises avant de préparer le semis. Pour cela, Thomas va passer un outil à dents larges (Type déchaumeur à pattes d’oies) sur une profondeur de 15 cm. Cette intervention aère, sèche et réchauffe le sol sur l’horizon travaillé. Elle sera répétée jusqu’à trois fois avec 2 à 3 jours d’intervalle jusqu’à ce que la température du sol approche les 12°C. Une semaine plus tard intervient le labour : l’action de retournement va enfouir la terre plus sèche en profondeur et remonter une terre plus fraîche. « Renfouir du sec, c’est mieux car quand on ramène de l’humidité en profondeur par un labour, le lin atteindra vers juin cette couche froide et compactée et sa croissance en patira »

A

Par l’action du soleil, la terre fraiche remontée en surface va blanchir. Cet indicateur est très important pour estimer l’efficacité des opérations précédentes. Parfois, une terre peut blanchir en l’espace d’une ½ journée. Enfin, un outil à dents étroites est utilisé pour préparer le lit de semences. A ce stade, un tel outil est intéressant car il permet de travailler sur une profondeur variable, alors qu’une herse rotative seule lisserait le fond du lit de semence. Le semis intervient le jour suivant, lui-même suivi d’un roulage le surlendemain.

Le scénario présenté sous-entend une fenêtre idéale de préparations sans pluies. Si une pluie importante et non prévue vient perturber le planning, il ne faut pas hésiter à ré-ouvrir et retravailler le sol. « En 2022, on a eu 60 mm d’eau au 8 avril. La température du sol est descendue à 10°C. Suite à ça, on a ré-ouvert et travaillé le sol et 5 jours plus tard, lors du semis, on est remonté à 17°C ! »

En moyenne, Thomas sème donc son lin assez tard, entre le 15 et le 20 avril. La terre blanchie, le roulage et le semis tardif sont les trois leviers de gestion utilisés pour gérer l’altise, qui n’a jamais impacté la culture, malgré la présence de symptômes.

La densité de semis était de 2300 grains/m² mais a été réduite à 2100 grains/m² depuis. « On pensait même passer à 2500 grains/m² pour le rendement mais l’année 2021 nous à bien refroidi avec les conditions de verse et la présence de septoriose. De plus, on s’est dit que plus le lin est semé dense, plus il a besoin d’eau ». Les variétés utilisées sont des références éprouvées en bio pour leur profil de résistance aux maladies (Bolchoï). Au final, cette densité représente un bon compromis entre le rendement, la gestion des bioagresseurs et la marge de perte de pieds relative au désherbage mécanique.

En termes de gestion de la culture, le reste de l’itinéraire se déroule de manière plus classique. Après l’arrachage et le rouissage, Thomas réalise un soulevage des nappes pour limiter l’impact des ronds d’adventices : « C’est moins vrai sur les lins épais, mais quand il y a un peu de repousses, ça vaut le coup de faire un soulevage juste avant l’enroulage. »
 

La rotoétrille sur lin : une alternative flexible et polyvalente à la houe rotative et la herse étrille 

La rotoétrille est un outil en plein moins connu que la herse étrille ou la houe rotative mais qui combine l’action de ces deux outils : elle va à la fois brosser et arracher les adventices mais aussi soulever et recouvrir de terre. Thomas a commencé à l’utiliser sur le lin dès 2020. « Au début, ça nous faisait peur car on avait l’impression de tout arracher sur le passage. En fait, c’est un outil dont l’efficacité dépend de la vitesse de passage et plus on va vite, plus on bouge la terre et on aère le sol. Cette terre recouvre un peu le lin mais aussi et surtout les jeunes adventices. »

Si les adventices vont se faire étouffer, le lin plus développé n’aura quand à lui aucun mal à poursuivre sa croissance. En ce sens, elle a une meilleure efficacité que la herse étrille sur des adventices ayant dépassé le stade filament. Dans tous les cas, la décision de passer se fait après observation du stade et de la densité des adventices sur chaque parcelle. Aujourd’hui, Thomas intervient avec cet outil à une vitesse de 15 km/h avec deux passages aller/retour : « On fait un aller-retour avec un léger décalage pour ne pas trop abimer le lin sur les passages de roues. Le résultat est meilleur que sur un passage simple ». Le stade d’intervention minimal est de 3cm mais Thomas préfère attendre que le lin atteigne 5cm pour le premier passage car le lin résiste mieux. Un second passage A/R est réalisé au besoin au stade 8 à 10 cm, après quoi, les passages mécaniques deviennent trop impactant pour la culture. Il faut compter 18 à 25€/ha hors main d’œuvre et tracteur pour un passage de rotoétrille (Einbock 9m). En comparaison, un programme de pré-levée couplé à un rattrapage (Calliprime Xtra 0.3L/ha + Chekker 0.2kg/ha) avoisine la cinquantaine d’euros hors main d’œuvre et charges mécaniques. Même avec un débit de chantier plus faible, la rotoétrille représente une alternative intéressante au tout chimique.

En revanche, Thomas est lucide sur les limites du levier dans l’efficacité et les fenêtres d’intervention : « Sur notre secteur, il y a des années ou on ne pourra pas sortir la machine, à cause de la pluie. Je considère que l’essentiel du désherbage se fait avant même le semis par la rotation et la qualité de la préparation. La rotoétrille vient complémenter ce travail mais ne sauvera pas une parcelle fortement enherbée »

Retours sur les trois dernières années de lin au GAEC Delahais

2020 a été une bonne année pour les frères Delahais puisque l’itinéraire a permis de tirer un rendement de paille et un taux de filasse comparable à la moyenne conventionnelle (7T/ha en moyenne pour 20% de fibres longues).  Cette année a aussi permis d’affiner l’itinéraire technique en mettant en place quelques essais : 
-    Choix de la variété : essai comparatif des variétés Nathalie et Bolchoï avec un rendement plus important de la seconde variété 
-    Programme de désherbage mécanique : essai comparatif de la herse et de la rotoétrille avec un meilleur résultat sur le second outil
-    Ecapsulage du lin : 800 kg/ha de graines récoltées mais difficultés à nettoyer la graine pour la vente en alimentation humaine. De plus, l’opération d’écapsulage abîme la paille des fourrières. En attendant de répondre à ces problématiques, Thomas n’écapsule plus.

L’année 2021 a été difficile pour les lins seinomarins à cause des phénomènes orageux violents. Le lin de Thomas n’a pas échappé à ces aléas puisque le rendement a été inférieur, principalement en raison de la verse (5T/ha pour 11% de fibres). Si le rendement n’a pas été si bon, l’année n’en reste pas moins source d’apprentissage puisque Thomas a pu éprouver l’itinéraire sur une année difficile : il sait maintenant qu’il lui faut travailler sur la maitrise de la verse.

Enfin l’année 2022 a été la meilleure année jusqu’à présent du point de vue de Thomas : « Il a fallu s’adapter au semis car nous avons eu des conditions exceptionnelles début avril (neige au 1er avril et fortes pluies la semaine suivante) mais nous avons pris notre temps pour reprendre la préparation de semis. Au final, le semis tardif a fait la différence et nos lins ont rattrapé sans problème les lins semés fin mars. ». Le programme de désherbage mécanique a consisté en 2 passages de rototétrille le 09 mai et le 15 mai. Au final, un rendement de 7.8 T/ha pour un taux de fibres longues qui reste à déterminer. 

Quelle sera la suite ?

Sur une cuture technique comme lin de printemps, il faut toujours être proactif. Aujourd’hui, Thomas est satisfait de son itinéraire sur le plan des bioagresseurs mais le risque de verse reste problématique comme l’a prouvé l’année 2021. Thomas cherche donc un moyen de limiter ce risque et met en place un essai dans ce sens en 2023 : « J’ai entendu parler d’un agriculteur qui avait passé la herse sur un lin très développé (30 à 40cm). Le passage a couché le lin mais après 2-3 j de beau temps, il s’est relevé, s’est rigidifié et à résisté à la verse. (8T paille 27% filasse). Je pense faire pareil sur une bande avec la rotoétrille pour voir ce que ça donne en cas de verse. »


Les réseaux Dephys Normands

 

Journée de démo le 16 mai 2023

Dans le cadre des journées de rencontre du groupe DEPHY Pointe de Caux ainsi que l’évènement « Le Printemps des Transitions », le lycée Agricole d’Yvetot a mis en place un essai de désherbage mécanique du lin de printemps avec différentes modalités (herse étrille, rotoétrille, bineuse). Une démonstration de ces outils et une présentation des résultats d’essai auront lieu le 16 mai 2023* au Lycée d’Yvetot. Pour plus d’informations, consulter le site internet du réseau des CIVAM Normands ou contacter Guillaume Beauer au 07.69.61.27.58.
(*date à confirmer, inscription obligatoire)