Agroécologie-HVE
Dernière mise à jour le 27 février 2025
Découvrez la ferme familiale des pâtures dans l'Eure, et leurs différentes pratiques.
« On n’hérite pas de la terre de nos ancêtres, on l’empreinte à nos enfants »
Dans le cadre d’une visite « DDTour Exploitations agricoles » organisée par l’ANBDD, l’Agence Normande de la Biodiversité et du Développement Durable, j’ai découvert la ferme des Pâtures en juin dernier, situé dans l’Eure au Val-Doré. C’est Didier DUEDAL qui nous a fait la visite, aujourd’hui à la retraite mais encore actif sur la ferme, tout comme Corinne. Il était accompagné de Yann PIVAIN, chargé de mission en agroforesterie et en biodiversité aux Chambres d’agriculture de Normandie, secrétaire d’ADAN, Association pour une Dynamique Agroforestière en Normandie, et animateur du GIEE Agroforesteries en Normandie. La ferme des Pâtures est fondatrice de ce GIEE qui a été créé en 2016.
La Ferme des Pâtures, ferme familiale aujourd’hui gérée par Hugo DUEDAL et Mégane LE PECHEUR, est une ferme de polyculture-élevage. Les 75 ha de SAU sont constitués de prairies, blé, luzerne et méteil. Aujourd’hui, la ferme compte 120 brebis laitières de la race Lacaune et une vingtaine de vaches allaitantes de la race Angus.
Les animaux sont élevés en plein air. Les vaches sont nourries exclusivement à l’herbe et les brebis ont un complément en céréales. Grâce à la présence de légumineuses dans les prairies, la ferme est autonome en protéines. Les prairies sont également composées d’espèces qui résistent bien à la sécheresse telles-que la fétuque élevée et la luzerne.
A la ferme Les Pâtures, le topping est pratiqué. Aucun fourrage enrubanné n’est donné aux brebis en lactation afin de limiter le risque de contamination du lait cru. Ici, les éleveurs se basent beaucoup sur l’observation du comportement de leurs animaux. Bien que la taille optimale pour l’herbe soit de 10 cm du point de vue nutritionnel, les animaux ont moins de problème de boiterie et de digestion lorsque l’herbe commence à durcir, c’est-à-dire quand elle fait plus de 10 cm. Pour traiter les boiteries ovines, les éleveurs de la ferme des Pâtures n’ont pas recours aux médicaments. Ils font le choix de soigner leur animaux en apportent plus de fibres dans leur alimentation. Tous leurs produits de la ferme, viandes et produits laitiers, sont vendus en direct, sur les marchés, en AMAP et sur l’exploitation.
La rotation type sur la ferme est composée de 4 ans de praires temporaires ou de luzerne suivi d’un blé tendre d’hiver ou d’un mélange triticale-pois, puis d’un couvert intermédiaire pâturable et enfin d’un blé de printemps. A la Ferme des Pâtures, on raisonne au niveau de la rotation, et non au niveau de la campagne culturale. Le rendement moyen du blé est équivalent au rendement moyen des exploitations bio du secteur, soit autour de 35 quintaux. Pour nourrir les animaux avec un concentré équilibré, le méteil fourragé semé est composé de 70% de triticale et de 30% de pois. Ce protéagineux est vu comme une culture qui a un intérêt économique à long terme, précise Didier. Pour les laitières, un maïs grain est ajouté à ce concentré afin d’apporter du sucre lent adapté à une ration basé sur le pâturage et pour limiter les excès de protéines liés à une ration pâturée riche en légumineuses.
Côté fertilisation, les parcelles n’ont pas reçu de phosphore ni de phosphate depuis des années. La seule fertilisation étant le fumier et les excréments en pâturage.
Par rapport à la protection des cultures, Didier a toujours eu une démarche de réductions des produits phytosanitaires. Dès la création du réseau DEPHY en 2011, Didier a engagé sa ferme dans ce dispositif. Jusqu’en 2021, il a été accompagné par l’ingénieur réseau Bertrand OMON, un agronome référent en termes d’approche système. Didier utilisait les produits phytosanitaires en dernier recours. Aujourd’hui, Hugo et Mégane n’utilisent des produits qu’autorisés en agriculture biologique. Concernant les adventices, la gestion des graminées n’est pas un problème majeur sur l’exploitation, contrairement à la majorité des agriculteurs normands. Les coquelicots, en revanche, se sont beaucoup développés en 2024. Les rumex sont présents et deviennent problématiques dans les cas d’une mauvaise gestion du sol. Pour détruire prairies, luzerne et couverts sans déchaumage préalable et pour gérer les adventices, le labour est pratiqué mais jamais à plus de 18 cm et avec un outil qui ne fait pas de semelle de labour. Bien que le labour fasse diminuer la population de vers de terre, Didier s’est rendu compte que ces ingénieurs du sol reviennent.
Yann PIVAIN commence son intervention en rappelant que les premiers projets d’agroforesterie datent de 2008-2010. Initialement, on implantait des haies dans le but de favoriser la régulation naturelle des bioagresseurs et lutter contre l’érosion. On ne mettait pas en avant l’intérêt des arbres dans l’adaptation et l’atténuation du changement climatique, telle-que la séquestration du carbone, et l’amélioration de la qualité des eaux souterraines. Christian DUPRE, chercheur à l’Inrae, introduit dans son livre la notion d’arbres intra parcellaires.
Pour réussir dans l’agroforesterie, il faut d’abord s’assurer que l’arbre va pouvoir s’implanter en profondeur. C’est le travail des cultures qui va obliger les racines de l’arbre à descendre en profondeur. Si les arbres sont en concurrence vis-à-vis de la lumière, comme dans une forêt par exemple, les racines vont rester en surface. Ensuite, il faut tailler les arbres tous les ans et planter exclusivement des feuillus. Il est montré que le rendement de la culture est maintenu avec 30 arbres par hectare. La perte de rendement en plantant 50 arbres par hectare reste faible.
L’agroforesterie présente de nombreux avantages comme la résilience face au changement climatique. L’association ADAN a d’ailleurs été lauréate des Trophées de l’adaptation au changement climatique Life ARTISAN en 2024 dans la catégorie « Adaptation des filière économiques ». Les mycorhizes qui se développent au niveau des racines permettent aux arbres de mieux résister à la sécheresse en allant chercher plus en profondeur. De plus, les arbres présents dans la parcelle permettent de baisser la température, jusqu’à 6°C en cas de fortes chaleur. En plus de baisser la température dans les parcelles, utile lors de périodes caniculaires, l’agroforesterie améliore le bien-être animal. Evalué avec l’indicateur THI (température / hygrométrie), cet indicateur est corrélé avec la production de lait. En effet, si le bien-être animal est impacté, la baisse de production de lait peut atteindre 4L par jour pour une vache laitière. Yann PIVAIN est un observateur du réseau ENI, Effets Non Intentionnels. L’objectif de ce réseau est d’évaluer l’impact des pratiques agricoles sur la biodiversité. Dans les parcelles en agroforesterie, la proportion des coléoptères auxiliaires par rapport aux coléoptères ravageurs est plus importante par rapport aux parcelles sans arbres. Il est important de noter quelques points de vigilance. Planter des arbres prend du temps en implantation et en entretien (surtout les 3 premières années), a un coût et fait perdre de la surface. Dans les prairies, la proportion de légumineuses est plus faible à proximité des arbres. Tous les 5 ans, les règles de la PAC pour compter les arbres changent. Il est donc difficile de composer avec cette contrainte réglementaire. Tous ces aspects négatifs de l’agroforesterie sont compensés par tous les avantages que procurent les arbres dans les parcelles.
Sur la ferme, les travaux en agroforesterie ont commencé par la plantation de bandes d’arbres espacés de 27 m d’essences caduques et forestières. Puis, des arbres ont été implantés sur des lignes plus larges avec d’autres essences. En 2025, il est prévu que la ferme soit intégralement en agroforesterie.
En plus d’être autonome en fourrages, en agriculture biologique et en agroforesterie, la ferme des Pâtures cherche à réduire considérablement le travail du sol.
Les motivations ? Se dégager du temps pour l’élevage, préserver le sol notamment face à l’érosion et enfin réduire les émissions de gaz à effets de serre. Aujourd’hui, le déchaumage avant les céréales a été supprimé. Pour ces pratiques, la ferme fait partie des exploitations étudiées dans le cadre du projet MASTER. Piloté par la Chambre d’agriculture de Bretagne, ce projet qui a débuté en janvier 2024 et qui se finira en juin 2027 vise à produire des ressources pour les agriculteurs et les conseillers sur la réduction du travail du sol dans les systèmes avec des grandes cultures en agriculture biologique.
La ferme pratique également le sûrpaturage avant destruction des prairies ou des couverts et le sursemis de prairie dans la culture de printemps.
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Anne-Laure PRETERRE, Animatrice Ecophyto aux Chambres d'agriculture de Normandie.