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Combiner plusieurs leviers pour réduire les traitements phytosanitaires

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Avec l’obligation de réaliser un Conseil Stratégique Phytosanitaire (CSP), les exploitants agricoles sont tous amenés à réfléchir sur leurs stratégies de gestion des bioagresseurs pour réduire l’utilisation des produits phytosanitaires. Zoom chez Olivier TOMBETTE, exploitant à Longuerue en Seine-Maritime, qui a déjà mis en place un certain nombre des leviers.

Olivier TOMBETTE s’installe en 1991 pour rejoindre l’exploitation de ses parents créée en 1961. Aujourd’hui, avec l’aide d’un salarié à temps plein, Olivier gère 2 ateliers : un atelier grandes cultures et un atelier lait à hauteur de 700 000 L de lait annuels produits par 70 vaches laitières et 18 ha de prairies permanentes servant à leur alimentation.

Sur les 155 ha de grandes cultures cultivés, Olivier consacre plus de 50 % de sa surface en blé tendre d’hiver dont une partie est consommée par le troupeau laitier. Il produit également quelques hectares de colza et des cultures de printemps comme le lin fibre, la betterave sucrière et le maïs fourrage. Les sols majoritaires sur son exploitation sont des limons profonds.

 

L’intégration du groupe DEPHY BAC 76, point de départ d’une réflexion à long terme

En 2016, Olivier s’engage avec dix autres agriculteurs du secteur dans la formation d’un nouveau groupe de progrès : le groupe DEPHY BAC 76.

Chacun d’entre eux ayant une partie ou toutes leurs parcelles situées sur le bassin d’alimentation de captage (BAC) de Fontaine-sous-Préaux, ils se sentent particulièrement concernés par la réduction des herbicides.

En effet, sur ce captage classé « prioritaire », plusieurs molécules issues d’herbicides sont régulièrement détectées dans les analyses d’eau tels que le glyphosate, le métazachlore, le diflufénican ou le prosulfocarbe, ou encore en dépassement par rapport à la réglementation, comme le chlortoluron.

Préserver et améliorer la qualité de l’eau fait donc partie des enjeux communs à tous les membres de ce groupe.
 

En parallèle du programme d’action mis en place par le Syndicat des bassins versants Cailly-Aubette-Robec, la constitution de ce groupe DEPHY permet de travailler à plusieurs l’enjeu de réduction des produits phytosanitaires sur leurs exploitations. L’objectif commun défini initialement vise à réduire de 30 % leur Indice de Fréquence de Traitement (IFT) tout en conservant leurs marges brutes.

Les agriculteurs du groupe cherchent également à réduire leurs usages d’insecticides, de fongicides et autres produits phytosanitaires tels-que les régulateurs.

L’exemple d’Olivier TOMBETTE permet d’illustrer différents leviers alternatifs qu’il a réussi à mobiliser sur son exploitation.

Le labour, le faux-semis et la rotation, trois leviers de gestion des adventices

Comme beaucoup d’éleveurs, Olivier doit consacrer la majorité de son temps à son troupeau. Il fait donc en sorte de passer le moins de temps possible dans les champs. C’est pour cette raison qu’il a décidé en 2015 d’arrêter le labour systématique sur l’ensemble de ses cultures, sauf avant le semis d’un maïs avec un précédent ray-grass.

Dès 1995, Olivier avait déjà initié cette pratique sur ses parcelles les plus éloignées de la ferme.
 

Aujourd’hui, Olivier a adopté différentes modalités issues des Techniques Culturales Simplifiées (TCS). La réduction du travail du sol lui a ainsi permis de réduire sa consommation de carburant, passant de 190 L/ha en 2016, à 96 L/ha en 2020.

Il réalise toutefois un labour occasionnel, tous les 5 ans environ, car ce levier permet de gérer efficacement les populations de graminées tels que le ray-grass et le vulpin. Ces deux adventices représentent une des problématiques majeures en Normandie depuis l’apparition de la résistance aux herbicides appartenant à la famille des sulfonylurées.
 

Le ray-grass d’Italie et le vulpin des champs sont des plantes qui ont la capacité de germer toute l’année. La rotation a donc peu d’effet sur leur gestion. En revanche, ces deux adventices ont un Taux Annuel de Décroissance (TAD) élevée, de l’ordre de 60 à 75 % pour le ray-grass et autour de 75 % pour le vulpin. Un labour occasionnel, au moins tous les 3-4 ans, combiné avec des faux-semis avant l’implantation de cultures d’hiver permettent donc de réduire de façon importante le stock semencier de ces deux adventices.

« J’ai réduit le travail du sol avant tout pour gagner du temps mais pas au détriment de la maîtrise des populations de graminées. Même si j’ai opté pour du TCS, je ne m’interdis pas un labour de temps en temps en fonction des conditions ou de la pression en adventices » explique Olivier.


Olivier a aussi travaillé sur sa rotation pour réduire la pression des adventices, notamment des graminées. Il a donc décidé de l’allonger et d’intégrer d’autres cultures de printemps. Depuis le début de son activité, Olivier cultive du lin et du maïs. En 2018, sous l’impulsion du groupe DEPHY, il décide de se lancer dans la betterave sucrière pour avoir une culture de printemps supplémentaire dans son assolement. « Lorsque j’ai arrêté les pois à cause des rendements aléatoires et de la faible marge, je voulais tout de même garder des cultures de printemps. Je me suis alors tourné vers la betterave sucrière, une culture facile à biner ! » se remémore-t-il.

Le désherbage mécanique, un levier essentiel

Le désherbage mécanique, bien qu’il ne soit pas toujours facile à mettre en place dans le contexte pédoclimatique normand, est un levier incontournable pour, à la fois réduire l’utilisation des herbicides, mais aussi préserver la qualité de l’eau. « J’ai en partie choisi les cultures comme la betterave et le maïs pour avoir cette possibilité de désherber mécaniquement. A ce jour, je ne bine que les parcelles de betteraves mais j’aimerais bien me lancer dans le maïs cette année » témoigne Olivier.

Il est important de souligner que l’efficacité de cette pratique dépend beaucoup de la météo et de la disponibilité de l’outil. En Normandie, les fenêtres d’intervention au printemps sont parfois réduites. En effet, pour qu’un passage mécanique soit efficace, il faut combiner 3-4 jours sans pluie avant et après l’intervention pour passer dans de bonnes conditions et pour ne pas favoriser le repiquage des adventices déterrées.

Suppression des régulateurs sur blé

Depuis qu’Olivier sème moins dense, apporte la bonne quantité d’azote et choisit des variétés résistantes à la verse, il n’a plus besoin de réguler la croissance de ses blés. Et le fait de n’avoir jamais vu son blé versé le conforte dans son idée.

En effet, le risque de verse demeure très faible si la variété de blé choisie est tolérante à la verse et si la densité de semis et la disponibilité en azote ne sont pas trop fortes.

L’implantation de la culture, un moment crucial pour diminuer la pression des ravageurs

Pour obtenir un colza robuste, Olivier sème son colza tôt, idéalement avant septembre. Ainsi, il aura atteint le stade 4 feuilles avant le 20 septembre et sera peu sensible aux attaques d’altises car bien développé et robuste.

Concernant les blés, il retarde le plus possible la date de semis pour réduire la pression des pucerons et des cicadelles. La plupart du temps, il n’a pas besoin de passer d’insecticides pour lutter contre ces ravageurs. Ce décalage de la date de semis permet également de réduire le nombre de cycles des maladies et de graminées qui lèveront.

En lin, la pression altises varie fortement en fonction des années. Cependant, une attention particulière est à apporter lors de la préparation du sol et des conditions de semis. « Si le lin est semé dans de bonnes conditions, j’arrive à faire l’impasse en insecticide la plupart du temps » précise Olivier.

Utiliser des produits de biocontrôle pour contrôler les maladies du blé

Avec d’autres membres du groupe DEPHY, Olivier a testé en 2019 et en 2020 deux programmes intégrant des produits de biocontrôle pour lutter contre les maladies du blé : un à base d’extraits fermentés de laminaire et de soufre, un autre à base d’extraits fermentés d’ortie et de consoude.

La laminaire, une algue marine brune, l’ortie et la consoude ont plusieurs vertus dont celle de stimuler les mécanismes de défense naturelle des plantes. La laminaire a des effets connus contre la septoriose.

Dans les deux protocoles testés, les deux premiers passages ont été réalisés avec les produits de biocontrôle et le troisième, à floraison, avec un produit fongique à base de tébuconazole et de prothioconazole. Les trois modalités (cf. figure 1) sont équivalentes et aucune différence significative n’a été montrée.

La pression maladies ayant été faible ces deux années, Olivier est prêt à retenter l’expérience en 2023 pour mieux évaluer l’efficacité de ces produits de biocontrôle. En attendant, Olivier adapte son programme fongique à la variété qu’il a choisi.

La génétique, un allier de taille face aux maladies

La résistance des variétés aux maladies est l’un des critères auxquels Olivier accorde le plus d’importance lors de son choix variétal. Il sème la majorité de ses blés en mélanges variétaux. En colza, il choisit des variétés tolérantes au virus TuYV (Turnip Yellow Virus), virus responsable de la jaunisse du colza.

Il commente : « Nous travaillons à plusieurs pour faire nos semences : chacun multiplie une des variétés chez lui et nous élaborons le mélange ensemble. Cela permet d’avoir le mélange qu’on souhaite et d’intégrer les progrès génétiques d’intérêt. »

Conclusion

Globalement, Olivier est satisfait de son système car il maîtrise bien les maladies et les insectes quelles que soit les cultures. Grâce à l’observation de ses cultures et au décalage de la date de semis, il n’utilise presque plus d’insecticides en végétation. Il se passe de régulateurs sur blé en minimisant le risque de verse et il a fortement réduit les fongicides grâce à l’utilisation de biocontrôle, de la génétique et des OAD.

En combinant plusieurs leviers, Olivier a réussi à réduire son utilisation de produits phytosanitaires. Grâce à la dynamique du groupe DEPHY, il a testé plusieurs de ces méthodes alternatives, lui permettant de passer d’un IFT Hors Herbicides de 2,36, en 2016, à 1,81 en 2022, soit une baisse de 75 % son IFT Hors Herbicides depuis son entrée dans le réseau (cf. figure 2). Cette diminution s’accompagne d’une réduction des charges opérationnelles (-109 €/ha) et de mécanisation (-127 €/ha), faisant progresser sa marge brute de 48%, notamment grâce à la réduction du labour.

L’amélioration des performances économiques du système de culture d’Olivier s’accompagne d’une amélioration des performances environnementales. Les quantités de matières actives toxiques pour l’environnement et l’émission des gaz à effet de serre ont baissé de 20 %. Les performances sociales ont également évolué dans le bon sens car l’exposition aux substances toxiques et au temps d’utilisation du matériel a diminué.

Olivier souligne que la gestion des adventices est de loin le sujet le plus problématique, notamment pour le blé. Pour réduire l’utilisation des herbicides, des marges de progrès existent encore telles-que l’amélioration du désherbage mécanique et sa mise en place sur d’autres cultures. Olivier a également envie de tester la succession deux cultures de printemps, levier encore peu mobilisé et pourtant très efficace, s’il est combiné avec d’autres leviers.